Réponse au commentaire Schauder

Franchement, je ne vois pas en quoi Claude Schauder s’est senti mal compris par moi et où et comment je l’aurais cité de manière erronée.

Je ne peux que répéter ce que j’ai dit dans ma réponse : mon choix de ne pas continuer à collaborer avec des collègues… non pas parce qu’ils sont russes, mais parce qu’ils sont solidaires de l’agression de Poutine… ne se posait pas comme un critère universel de comportement pour les analystes !

Mon choix était un simple témoignage pour soulever le problème du rapport entre éthique psychanalytique et éthique politique. Si Schauder avait écrit que lui, au contraire, avait continué à faire des contrôles à un groupe d’analystes sans soulever du tout le problème de la guerre (voire même, de l’« opération spéciale » !) en Ukraine, je n’aurais pas écrit, comme lui l’a fait, « Je ne partage par contre pas du tout, mais pas du  tout  du  tout,  sa décision… ». Je n’aurais rien écrit du tout. Parce que sur des sujets comme celui-ci, chacun a sa propre « conscience » (dans le sens anglais de ‘conscience’, et non de ‘consciousness’). Je ne crois pas que mon devoir soit celui de faire le censeur, ou le prédicateur, ou le moralisateur des choix de mes collègues.

Je remarque plutôt – lorsque Schauder écrit « le psychanalyste reste un citoyen et ce n’est pas seulement de son droit mais c’est même de son devoir d’arrêter son travail lorsqu’il ne peut pas conserver une ‘neutralité bénévole’ » – la répétition d’un amalgame entre rapport analytique et rapport professionnel entre collègues. La « neutralité bénévole » à l’égard du patient semble devoir s’appliquer aussi aux collègues que l’on supervise. Un amalgame, une confusion, que j’ai aussi retrouvés dans d’autres critiques de mon choix, et dont l’insistance m’interroge. Il y a ici probablement une ambiguïté structurelle de la « relation de contrôle », qui reste non pensée par les psychanalystes, et qui occupe une sorte de no man’s land entre la relation analytique, la relation pédagogique et la collaboration professionnelle, dans une sorte de champ éthique composite.

La seconde partie de l’article de Schauder – plus de quatre paragraphes – est quant à elle consacrée à une polémique sur les responsabilités ukrainiennes dans cette guerre. L’auteur sort en somme complètement de la dimension psychanalytique pour esquisser un véritable processus historique des responsabilités ukrainiennes concernant la guerre entre nazistes et soviétiques, et entre Ukrainiens et Russes aujourd’hui. Il me semble que Schauder (de façon voilée certes) souhaite au fond donner une certaine crédibilité aux accusations contre l’Ukraine portées par Poutine – que je trouve personnellement délirantes – qui serait un pays naziste. J’ai voulu réagir à ces argumentations. Et puisque ces argumentations sont fréquentes, j’ai cherché à en comprendre les motivations profondes, au-delà de ce que Schauder, de manière individuelle, peut en penser. Le style d’argumentations de Schauder est en somme très répandu.

J’ai également été frappé par son acrimonie à l’égard de Zelensky, qui, au fond, ne fait que son métier de leader d’un pays attaqué, et on devrait se demander pourquoi. Je rejoins l’analyse faite par un psychanalyste italien, qui notait la fréquence de cette rancœur. Zelensky, lorsque je ne sais plus quel leader occidental lui a proposé de fuir à l’ouest peu de temps après l’attaque russe, a répondu qu’il n’avait pas besoin d’un taxi mais d’armes, a fait preuve de quelque chose qui s’avère intolérable pour beaucoup : qu’il existe des choses pour lesquelles on peut mourir. Qu’il ne soit pas dit que l’on doit vivre à tout prix et sous n’importe quelle condition. Se rappeler que l’on ne vit pas seulement de pain (de l’économie seule, dirions-nous) mais que l’on vit également pour des valeurs (encore des valeurs ? quelle scandale !) se heurte évidemment contre une vision « immanentiste » répandue aussi bien à gauche qu’à droite dans nos pays. C’est la raison pour laquelle Zelensky apparaît comme irritant et dérangeant.

 

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European Journal of Psychoanalysis